Fabienne Morand

Fabienne Morand

Journaliste RP Freelance, Vaud, Suisse

Rencontre

Il glisse d’un vin à l’autre

Rodrigo Banto, oenologue de la Cave de La Côte à Tolochenaz.

Article paru le 29 mars 2018 dans GastroJournal. Texte et photo: Fabienne Morand. PDF

Véliplanchiste au Chili, skieur en Suisse. L’oenologie a permis à Rodrigo Banto de lier ces deux mondes.

Né en 1969 de l’union d’un dentiste et d’une psychologue établis à Santiago, rien ne prédestinait Rodrigo Banto à devenir l’oenologue responsable de la Cave de la Côte, à Tolochenaz. «C’est un passionné, ouvert d’esprit, tolérant et perfectionniste», résume le directeur technique Gilles Cornut. Même son de cloche du côté du vigneron de Monnaz Pierre Duruz, le président de la cave: «Il est très qualifié, calme, laisse les gens s’exprimer et ne panique jamais. C’est un assembleur de vin hors norme. Il ne le dira peut-être pas, car il est modeste, mais il a obtenu quantité de médailles.» En effet, rien qu’en 2017, il en a récolté pas moins de 15 en or, que ce soit au Mondial du Gamay, du Chasselas ou du Rosé. Sa plus belle? «L’or au Mondial du Merlot 2010 avec le millésime 2009. Au Chili, je n’aimais pas tant ce cépage. C’était plutôt de la ‹confiture›, sourit Rodrigo Banto. Ici, je lui trouve une élégance et une complexité propres. Il a davantage de fraîcheur.»

Il est arrivé dans la région morgienne en 2003, en pleine canicule. Alors que beaucoup de gens s’inquiétaient de la chaleur et de ses conséquences sur la vinification, pour Rodrigo Banto, qui atterrissait du Chili, accompagné de son épouse et de leurs trois enfants, rien d’anormal. Au-delà des conditions climatiques, pour lui la réussite réside surtout dans la communication et le travail d’équipe: «Le vin naît à la vigne. Si le vigneron ne travaille pas correctement, nous ne pouvons pas réaliser de bons crus. L’une des clés, c’est la maturité du raisin. La date de la récolte va influencer la suite. C’est donc important d’avoir un lien étroit avec le vigneron.»

Mais pourquoi quitte-t-on le Chili pour le vignoble vaudois? Petit-fils d’un émigré nidwaldien, Rodrigo effectue toute sa scolarité à la Schweizer Schule, à Santiago. Les cours sont donnés en allemand. Le double national baigne ainsi dans la culture suisse. Ce qui ne l’empêche pas d’être ébaubi lors de l’une de ses visites en 2001: «La Suisse est un petit pays, mais qui possède une énorme quantité de cépages différents. J’ai été surpris de voir comment il était possible de vinifier autant de sortes avec des volumes très variés.» Il attrape la passion de l’oenologie durant ses études d’agrilogie au Chili. «Je me suis découvert une facilité pour la dégustation», souligne-t- il dans un français teinté d’un charmant accent chantant. Son diplôme en poche, il est engagé par de grandes compagnies vinicoles de son pays natal. Ainsi, à 29 ans, il se retrouve responsable chez Caliterra, une entreprise située dans la «Valle de Colchagua», à 200 km au Sud de Santiago. Avant Caliterra, il était oenologue assistant chez Viña San Pedro, la deuxième plus grande cave du Chili, aussi installée au Sud, dans la «Valle de Curico». Pour s’abonnir, son patron de l’époque l’avait alors envoyé découvrir le travail du vin à l’étranger. En Californie, Rodrigo est frappé par le peu d’intérêt des employés pour la divine boisson. «Durant les vendanges, le menu, c’était fastfood et bière.» Alors qu’à Bordeaux, c’était l’inverse. Tous prenaient le temps de s’arrêter à midi pour apprécier «un bon repas accompagné de vin». Des cultures très différentes, tout comme les conditions météorologiques de ces pays qui changent et influencent la manière de métamorphoser le raisin en vin.

A Tolochenaz, Rodrigo Banto se plaît. «Je ne me suis jamais ennuyé. Il y a toujours des défis. De plus, en Suisse nous avons la chance d’avoir encore une recherche viticole et agronomique de pointe. Je me réjouis de voir ce que vont donner les nouveaux cépages, tel le divico.» Attachant, Rodrigo Banto admet un petit regret: ne pas avoir osé demander à ses parents de le soutenir financièrement durant une année ou deux pour qu’il puisse s’entraîner en vue des Jeux Olympiques. Car, s’il apprécie aujourd’hui la sensation de glisse sur des skis, le Chilien a longtemps été un véliplanchiste de haut vol. Il a notamment remporté les championnats de son pays natal et des jeux de l’Amérique du Sud. Finalement, cette année, un peu de lui était aux JO en Corée du Sud. La maison suisse y servait du… merlot de la Cave de La Côte.