L’éclairage public sublime la ville
LUMIÈRE L’éclairage public, tout en gardant sa fonction initiale de repère, tend à évoluer vers un outil marketing.
Article paru le 29 avril 2013 dans La Côte. Textes: Fabienne Morand. Photos: Samuel Fromhold/Audrey Piguet. PDF
En un clic, ou presque, des centaines de villes plongent dans le noir tous les derniers samedis de mars, à 20h30, heure locale. Cette année, c’était le 23 mars. Ce phénomène de plus en plus populaire est né en 2007 à Sydney (Australie). Les photos montrant la différence avec ou sans lumières publiques sont impressionnantes et nous renvoient une image de notre mode de surconsommation, puisque la nuit n’est plus noire. Mais pourquoi l’être humain a-t-il tant besoin d’éclairer les rues? Avons-nous si peur du noir? La réponse tient notamment dans l’évolution des technologies à travers les siècles. Une technique continue d’évoluer, notamment avec la LED (Light-Emitting Diode ou diode électroluminescente). Actuellement, la couleur de la lumière – blanche, jaune ou verte– est aussi sujette à diverses expériences.
Le gaz, une révolution
«L’éclairage public a accompagné toutes les grandes étapes du développement des villes», explique le professeur Antonio Da Cunha de l’institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne (Unil). Au Moyen Âge (V-XVe siècle), les cités étaient illuminées par des torches. Avec l’arrivée des lampes à huile, une première réglementation sur l’éclairage des rues a été instaurée. «Mais c’est le gaz naturel qui va révolutionner l’éclairage des villes», souligne Antonio Da Cunha. Les illuminations se banalisent donc au XIXe siècle, période de la Révolution industrielle. Un peu plus tard, l’arrivée de la voiture marque la troisième grande étape. «L’éclairage va ainsi suivre le réseau de voirie», spécifie le professeur. Ce n’est plus seulement le centre-ville qui est illuminé, mais toutes les zones périurbaines.»
Ces évolutions technologiques sont accompagnées par diverses fonctionnalités de l’éclairage public. «Il s’agit, dans un premier temps, que l’espace soit sûr la nuit et qu’on se sente en sécurité», clarifie Steve Fotios, professeur à l’Université de Sheffield (UK), spécialisé dans l’éclairage et la perception visuelle. Les fonctionnalités d’éclairer pour distinguer les objets, pour se repérer et se sentir en sécurité sont donc les premiers buts de l’éclairage public.
Sécurité et décoration
Avec l’évolution des techniques, s’ajoutent d’autres aspects, qui se développent surtout dès les années 1980-90. Comme la mise en valeur du patrimoine, la composition de la ville (un axe principal sera éclairé différemment qu’une rue piétonne ou un parc), l’amélioration du cadre de vie avec une lumière qui donne une certaine ambiance à un quartier, et enfin l’aspect décoratif. Sur ce dernier point, Lyon (France) est cité en exemple par les interlocuteurs pour sa manière d’avoir su s’imposer comme la ville Lumière. L’éclairage public devient un outil marketing. «Au départ, tout était lié à l’aspect sécurité, puis l’homme a réalisé qu’avec la lumière, il pouvait changer l’image de la ville. La question est de savoir où on met les limites», se demande Oscar Lambelet, étudiant en master d’études urbaines à l’Unil.
L’HOMME, LA FAUNE ET LA FLORE PERTURBÉS PAR LA POLLUTION LUMINEUSE
Dark-Sky Switzerland (DSS), fondé en 1996, s’engage pour la réduction de la pollution lumineuse, soit la diminution artificielle de l’obscurité. «Mais ce n’est que depuis 2005 qu’il y a une prise de conscience plus générale, souligne Arnaud Zufferey, personne de contact pour la Suisse romande chez DSS. La cause principale est un lampadaire mal conçu qui éclaire, en plus de la route, le ciel et les maisons avoisinantes. C’est une pollution particulière, puisqu’elle est essentiellement commise par les collectivités publiques.» Les conséquences sont diverses: sur la sécurité lorsqu’un lampadaire éblouit au lieu d’éclairer, sur la faune et la flore (oiseaux migrateurs nocturnes déroutés, insectes attirés par la lumière), mais aussi sur l’homme (production de certaines hormones perturbée par le dérèglement de l’alternance jour-nuit). Selon Arnaud Zufferey, même si à l’échelle d’une rue, suite à une rénovation, l’éclairage est meilleur, cette contamination est en pleine croissance. «Car avec la construction de nouveaux quartiers, à l’échelle de la ville, la pollution lumineuse augmente. Cela est très parlant sur les images satellite», souligne-t-il.
«Eclairer, c’est mieux vivre la ville malgré l’obscurité, ajoute Antonio Da Cunha. Mais progressivement, on se rend compte qu’il y a un usage anarchique et une utilisation à outrance de la lumière. Autour des villes, il y a désormais un effet de pleine lune permanente. Cependant, les impacts, sur la faune, la flore et l’être humain sont encore très discutés. C’est un sujet vaste et complexe.» En effet, depuis une petite décennie, la pollution lumineuse (lire encadré) gagne les consciences collectives et des voix s’élèvent contre cette consommation de lumière excessive.
La vie en vert
Parallèlement au type d’éclairage (lire ci-dessous) et à la quantité de lampadaires à installer, se pose la question de la couleur. Blanc, jaune ou vert? «Depuis une centaine d’années, nous savons comment notre oeil fonctionne, mais c’est seulement depuis ces dernières années que nous comprenons comment l’oeil perçoit les détails avec peu de luminosité», éclaire Steve Fotios. «Le blanc neutre s’établit comme standard. Le jaune des ampoules à vapeur de sodium est moins apprécié, car il rend la différenciation des couleurs plus difficile», expose Thomas Blum, directeur technique chez Schreder Suisse, entreprise spécialisée dans l’éclairage.
Actuellement, certains chercheurs planchent sur une utilisation de la couleur verte, avec laquelle l’oeil humain distinguerait le mieux les détails. L’entreprise Schreder Suisse a changé la couleur de la lumière dans une rue test à Villars-sur-Glâne (FR). Les mesure sont été prises cet hiver et l’analyse des résultats est en cours. «Un éclairage vert nous permettrait d’économiser davantage, puisque l’oeil humain aurait besoin de moins d’intensité de lumière pour distinguer les objets», explique Thomas Blum. Reste la question de l’appréciation de la couleur, des effets indésirables de voir la vie en vert et de l’impact qui varie en fonction de l’âge de l’automobiliste ou du piéton.
Changer les ampoules au mercure: un enjeu pour les communes
«En général, il n’y a pas obligations d’éclairer les chaussées, relève Franck Rolland, du Service des routes de l’Etat de Vaud. Dans la réalité, en dehors des localités, peu de chemins sont dans le noir complet la nuit. Avec l’adoption par la Suisse, en 2009, d’une ordonnance européenne interdisant la vente des ampoules à vapeur de mercure dès 2015 (c’est déjà le cas pour les privés), de nombreuses communes doivent changer leur parc d’éclairages publics.
«Mais les municipalités ont mis du temps à réaliser que 2015 approche. Par exemple, avec Bière qui a encore environ 50% d’ampoules à vapeur de mercure, nous allons être limite au niveau du planning», explique Olivier Genevaz, de la Société électrique des Forces de l’Aubonne (SEFA). Toutefois, ce village n’est pas une exception. Sur les 55 000 points lumineux gérés par Romande Energie, 30 à 40%sont à vapeur de mercure. Gland en compte un tiers sur quelque 1100 lampes publiques.
Bien que les possibilités soient diverses–vapeur de sodium, halogénures métalliques – «depuis deux ans, de plus en plus de communes passent aux ampoules LED», constate Christa Mutter, responsable pour la Suisse romande de S.A.F.E (association pour une meilleure consommation). Toutefois, tant à Etoy, Aubonne, Allaman, Saint-Livres, Bougy-Villars, Montherod, Gland que Nyon, l’essentiel des lampadaires brillent grâce au sodium.
Sur La Côte, Morges semble être en avance sur ses voisines. Depuis quelques années déjà, la ville a installé des éclairages aux LEDs sur les chemins piétonniers. Résultats satisfaisants. De plus en plus de rues et routes en sont équipées.
«Aujourd’hui, la grande tendance est de vouloir économiser de l’énergie», constate Thomas Blum, de chez Schreder Suisse, une entreprise spécialisée dans l’éclairage et basée à Carrouge (VD). Et la LED semble être la solution idéale, car elle permet de varier l’intensité de la lumière de 0 à 100%et d’obtenir un allumage quasi instantané, sans compter les économies d’énergies. «Son prix n’est devenu abordable que depuis une année», souligne Thomas Blum. Cependant, tous s’accordent à dire qu’il n’y a pas encore assez de recul pour obtenir des résultats sur le long terme. Et c’est principalement pour ces deux raisons – le prix et le manque d’expérience – que les communes ont tant attendu avant de changer leurs ampoules à vapeur de mercure. Par contre, «nous n’éclairons pas moins, mais mieux», précise Alain Jaccard, chef du service infrastructures, énergies et espaces publics à Morges.
ROMANDE ENERGIE TESTE
Soucieuse d’offrir des solutions fiables pour ses clients, Romande Energie teste la technologie LED, combinée à un système centralisé, sur son site à Rolle. Chaque luminaire (des lampadaires sur le parking à la lumière d’accueil) est relié par ondes radios. Ce qui, au départ, a engendré certaines interférences avec les bâtiments et surtout la présence de lignes électriques. Après quelques réglages, les utilisateurs ont trouvé satisfaction. Le but est d’installer des systèmes qui permettent de baisser l’intensité de la lumière la nuit.