Investir davantage dans la prévention
Des cabinets vétérinaires proposent, en complément à la médecine curative, des suivis de troupeaux qui vont au-delà de l’aspect gynécologique. Mais pour les agriculteurs, investir dans la prévention ne coule pas de source.
Article paru le 12 juin 2020 dans Agri. Textes et photo: Fabienne Morand. PDF
«C’est vers l’analyse et le conseil que je vois mon métier évoluer. Ce partenariat avec l’agriculteur est passionnant. Pour moi, c’est frustrant de me rendre régulièrement au même endroit pour les mêmes problèmes», explique Réanne Héritier, vétérinaire chez SOVET à Senarclens (VD). Sa collègue Véronique Schneider et elle aiment prendre le temps d’analyser la situation afin de l’améliorer.
Ainsi, elles passent plusieurs heures, chaque mois, sur l’exploitation aux côtés de l’éleveur. «Cette médecine préventive n’est pas un simple suivi gynécologique contractuel, mais une analyse du troupeau dans son ensemble», précise Véronique Schneider. Si divers conseillers existent, ce service n’est pas encore fréquent chez les vétérinaires. «En Suisse, il y a de la prévention, mais elle n’atteint pas encore le niveau pratiqué dans certains pays», relève Jean-Philippe Mange, vétérinaire fondateur de SOVET. «Ici, la tendance est plutôt à constater qu’il y a des problèmes et ensuite à se demander ce qui serait possible de faire, remarque Réanne Héritier. Alors que la prévention est un investissement qui se budgétise.»
Pour compléter leur formation, toutes deux sont parties au Canada et à Delémont pour la seconde (lire l’encadré). Réanne Héritier a séjourné à Coaticook, au Québec, dans la clinique qui est «la référence mondiale pour le suivi de troupeaux avec 80% du temps consacré à la prévention». C’est dans cette région qu’a été développé un programme informatique d’analyse «réalisé par des vétérinaires pour des vétérinaires» qu’utilisent les Vaudoises et Jurassiens notamment. Un logiciel qui permet aussi d’importer diverses données existantes.
A titre d’exemple, Réanne Héritier était régulièrement appelée sur une exploitation de 15 laitières avec des problèmes de cellules et des mammites en série. Un jour, elle propose une analyse de fond. En collaboration notamment avec le technicien pour la machine à traire, car le but est aussi de regrouper les compétences. Elle met le doigt sur le couac majeur: un manque de fibres, en été, dans l’alimentation. «Depuis, je n’ai quasi plus de problèmes, c’était une très bonne décision, ne regrette pas Bastien Brandt, de Bofflens (VD), qui a aussi adapté quelques pratiques lors de la traite et mis en place le contrôle laitier. L’investissement financier et en temps valent la peine.»
Autre exemple avec un troupeau d’une soixantaine d’Holstein sujettes à des problèmes de pieds et de mammites à certaines périodes. «Véronique m’a demandé si j’étais intéressé par un bilan de l’exploitation. Elle a fait venir un confrère spécialisé en nutrition. Ils ont aussi calculé que si j’améliorai la période intervêlage, je pourrais gagner 10 000 à 15 000 fr. sur la production laitière», explique Jean-David Teuscher, de Mont-la-Ville (VD). «On a débuté l’automne passé et je constate déjà des améliorations. Le gain paie déjà les frais du suivi.» Les prises de sang ont montré un manque d’oligoéléments chez certaines vaches compensé avec des bolus.
Lors de l’apparition de kystes, Véronique Schneider n’a pas attendu pour analyser à nouveau la ration et inverser la tendance qui aurait pu coûter davantage en soins curatifs.
Ces praticiennes ont aussi mis en place un concept de suivi de déparasitage, en incluant les facteurs de rotation de pâture, d’âge des animaux et du temps de contact estimé avec les parasites, couplé à une analyse sanguine ou laitière. Les résultats montrent qu’il n’est pas nécessaire de vermifuger ou de traiter systématiquement.
Enfin, pourquoi des vétérinaires investiraient-ils dans la prévention, alors qu’ils font leur marge sur la vente de médicaments? «Il est toujours plus facile de vendre des médicaments que des conseils. Pourtant, c’est souvent dans la mise en place d’un suivi de troupeau et de mesures prophylactiques que se trouvent les clés de la bonne santé et par conséquent de la meilleure rentabilité du cheptel», accorde Jean-Philippe Mange, qui préfère miser sur les prestations que sur les médicaments.
Il constate aussi que certains clients discutent facilement les quelques centaines de francs sur un devis de consultation, alors qu’ils viennent de dépenser des milliers de francs, sans sourciller, pour des médicaments.
Bien entendu, cette démarche ne correspond pas à tous les agriculteurs, mais elle est accompagnée de calculs de coûts de rentabilité et répond aussi à la pression politique, économique et sanitaire que vivent les paysans.
Une longue pratique jurassienne
«Au début, cela n’a pas coulé de source pour les agriculteurs, nous avons organisé des séances d’informations», se rappelle Luc Gerber de la Clinique vétérinaire du Vieux-Château, à Delémont (JU). La médecine vétérinaire préventive se pratique depuis «les années vaches folles». Le suivi représente 50 à 60% du temps, le reste est dédié à la médecine curative, car «les deux sont complémentaires». Avec les années, les services ont évolué. «Au début, c’était principalement du suivi gynécologique, puis s’est ajouté un travail sur la qualité du lait, les problèmes des veaux et le conseil en alimentation», continue Luc Gerber. «Les paysans veulent une personne avec un regard extérieur et qui soit neutre. Ce service va bien au-delà des soins vétérinaires. Un suivi permet d’utiliser moins d’intrants, tels des antibiotiques. Ce n’est que du positif!»