«Je ne corne pas les pages d’un livre»
INTERVIEW La libraire morgienne Sylviane Friederich a reçu samedi la distinction culturelle de la Ville de Morges. Rencontre avec cette amoureuse des histoires couchées sur papier.
Article paru le 11 novembre 2013 dans La Côte. Textes: Fabienne Morand. Photo: Cédric Sandoz. PDF
La distinction culturelle de la Ville de Morges, édition 2013, revient à la libraire Sylviane Friederich. Cette récompense visant à honorer «une personne ou une association qui s’est engagée en faveur de l’enrichissement et du rayonnement culturel de Morges de manière marquante» tranche un peu avec le profil de cette passionnée. Discrète comme l’est l’entrée de sa librairie, sise à la Rue des Fossés 21, Sylviane Friederich a été chaleureusement applaudie dans un Théâtre des Trois P’tits Tours archicomble samedi.
Rencontre avec une pure Morgienne – elle y est née en 1950 – qui, après un stage dans une librairie anglophone de Zurich, alors qu’elle n’avait pas encore 18 ans, a voué sa vie aux livres. Après un apprentissage de libraire à Lausanne, quelques années à Zurich, un retour à Lausanne, elle se décide à ouvrir sa propre librairie-galerie à Couvaloup. En 2003, elle emménage dans ses quelque 200m2 actuels, cette fois uniquement dédiés aux bouquins.
Sylviane Friederich, d’où vous vient cet amour des livres?
J’ai toujours été passionnée par la lecture. Dès l’enfance, j’ai hanté les couloirs de la bibliothèque municipale, qui était alors située dans l’Hôtel de Ville. Je lisais de tout, notamment du polar avec «Le club des cinq», pour arriver à des Dumas et autres Zola.
Est-ce qu’il y a un lieu ou une situation que vous affectionnez particulièrement pour lire?
Oui (sourire), je lis toujours couchée, que ce soit sur un canapé ou dans mon lit avant de dormir.
Et quel ouvrage lisez-vous en ce moment?
L’«Histoire de la grande maison», d’un auteur libanais (elle se lève pour aller chercher l’ouvrage dans un des rayons de sa librairie) qui s’appelle Charif Majdalani. Je rentre de Beyrouth et quand je reviens de voyage, j’aime faire perdurer l’ambiance.
Vous arrive-t-il de relire un roman que vous avez apprécié?
Non, je n’ai pas le temps, il y a trop de choses intéressantes à lire. L’actualité, avec une rentrée littéraire où cinq cents nouveaux titres arrivent, me force à aller de l’avant.
En parlant d’actualité, les ouvrages sortent aussi sur un support numérique, vous arrive-t-il de lire ainsi?
Non, j’ai besoin de sentir l’odeur du papier, de tourner les pages, mais je ne les corne pas. Vous êtes également très active dans d’autres organisations, notamment Le Livre sur les quais.
Pensiez-vous, il y a 4-5 ans lors des débuts, que la manifestation rencontrerait un tel succès?
Nous sommes toujours dans l’inconnu quand on initie quelque chose, mais je pense que nous avons pallié un manque. Cela se reflète dans cette forte affluence. Certains lecteurs sont contents d’échanger avec leurs auteurs préférés et surtout d’en découvrir des nouveaux. Certes, on est seul quand on s’adonne à la lecture, mais lisez un livre et vous aurez envie de le partager. Cela dit, il y a bien d’autres choses à évoquer, on parle déjà si souvent du Livre sur les quais. Votre antre de la rue des Fossés est propice aux rencontres et aux échanges passionnés.
Le Livre sur les quais est-il né à la demande de vos clients?
Ah non pas du tout, l’idée est venue du Livre sur la place qui a lieu à Nancy. Nous avons repris l’idée.
Vous êtes également membre fondatrice et présidente de l’AILF, l’Association internationale des libraires francophones. En quoi cela consiste-t-il?
C’est une activité que j’affectionne tout particulièrement car elle regroupe plus de cent libraires francophones dans le monde. Cinquante pays sont ainsi représentés. Notre mission consiste à fédérer les libraires francophones, tout en assurant la professionnalisation et la diversité culturelle de notre métier. Nous sommes une grande famille et devons être solidaires.
Et, concrètement, cela se traduit par quelles activités?
Lors du tremblement de terre en Haïti, les libraires se sont mobilisés. Concrètement, nous sommes à l’écoute des difficultés, mais aussi un facilitateur d’échanges auprès de l’institutionnel français, qui reste établi en France métropolitaine. Le week-end passé, par exemple, je me suis rendue à Beyrouth pour y rencontrer les libraires du Moyen et Proche-Orient. La question était de savoir comment être libraire dans un pays en crise, comment s’y prennent-ils pour assurer leur pérennité. Nous soutenons aussi la caravane du livre. Depuis 2004, les libraires africains s’organisent pour sortir de leurs locaux et diffuser la littérature, accompagner des auteurs dans des régions où il n’y a ni magasin ni bibliothèque. Je n’y ai pour l’instant jamais participé, mais depuis Paris, avec l’AILF, nous aidons à financer une partie des frais d’acheminement des ouvrages. Nous sommes actuellement à la recherche de fonds pour que l’an prochain, lors du Sommet international de la francophonie qui aura lieu à Dakar, ces personnes puissent se rencontrer.
Revenons à Morges où vous recevez cette distinction de la Ville, que ressentez-vous?
Je suis très émue et fière, je ne m’y attendais pas du tout. C’est une reconnaissance magnifique d’une vie certes professionnelle, mais en même temps tellement plus que ça.